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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/249

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mettait à la place de l’ancien, et, tandis qu’il considérait avec intensité la divinité qui, inconsciente, le maîtrisait, et qu’il s’éblouissait à l’aspect de ce visage, il entendit une voix qui lui criait :

— Seigneur gouverneur ! Je vous dois ma fille !

Une vieille dame, les larmes aux yeux, lui baisait les mains ; il se dégagea sans dire mot et s’éloigna. Il était comme fou. Il retourna vers le désastre, dégagea encore quelques personnes, puis il rentra chez lui.

C’était le dernier jour des noces. Les invités comprirent que son air sombre et son silence provenaient du malheur public. On loua sa sensibilité, et la nouvelle épouse en prit raison de l’aimer davantage. Le lendemain, chacun partit. Don Pierre demeura plongé dans une torpeur singulière, et on ne saurait dire qu’il se rappelât distinctement les traits de celle qu’il avait tenue dans ses bras. Il me semble que vous commencez à m’écouter !

— Poursuivez ; que fit don Pierre ?

— Il restait sans désirs, sans idées, sauf celle-ci, que sa femme était bonne et qu’il devait se consacrer à elle. Au bout de la semaine, il se mit à parcourir la ville en tous sens. Il se fit donner les noms de différentes familles et le nombre de personnes qui les composaient. Un matin, à la messe, il aperçut la vieille dame, et près d’elle, sa fille. Un éblouissement le prit. Il faillit tomber. Cependant, quand le service fut à sa fin, il s’approcha et demanda des nouvelles de sa protégée.

On le remercia avec effusion. Il apprit que la dame se nommait doña Pilar de Menezès, et demeurait dans un des faubourgs. La jeune personne, Carmen, il osa à peine la regarder. Tout son sang remontait et gonflait son cœur. Après une journée et une nuit d’angoisses, il arriva