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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/252

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laissée par l’accident survenu le jour des noces ; pourtant, une sensibilité si exagérée commençait à lasser chacun.

Sa femme lui confia un jour qu’elle serait bientôt mère. Il lui répondit :

— Je veux vous avouer aussi quelque chose. Vous êtes ma meilleure amie ; pour personne au monde je n’éprouve autant d’estime. Sachez donc que j’aime une dame ; je suis résolu à l’épouser. Vous et moi, nous sommes un peu parents à un degré prohibé ; nous pourrons donc facilement obtenir notre séparation, et je vous prie de ne pas vous y opposer.

Doña Isabelle prit d’abord ce langage pour une plaisanterie ; mais, quand elle vit que rien n’était plus sérieux, elle éclata en sanglots, se jeta aux pieds de son mari et le supplia de renoncer à un projet aussi déshonorant.

Il écouta tout, et ne fit d’autre réponse que de secouer la tête. Doña Isabelle considéra sagement, comme un très-mauvais symptôme, qu’il l’embrassait de temps en temps d’un air triste, et ne se fâchait pas des paroles violentes que, dans son indignation, elle ne pouvait retenir. Enfin, vaincue par ce quelque chose d’étrange, d’irrésistible, de fatal, empreint sur toute la contenance de son mari, elle s’écria :

— Puisque vous le voulez, soit ! Séparons-nous ; quittez votre femme, votre enfant, faites ce qui vous plaît ! Quand vous serez trop malheureux, vous reviendrez peut-être à moi !

Après ces paroles, elle crut mourir.

Il alla rôder, suivant sa coutume, autour de la maison de Carmen. Le soir était venu. Il trouva, devant la fenêtre, un jeune homme accompagné de musiciens ; ceux-ci accordaient leurs instruments pour donner un concert.