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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/253

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Don Pierre comprit que les fiançailles étaient faites, le moment du mariage approchait. Il se cacha dans un recoin obscur, entre deux maisons, et la sérénade commença. Lorsqu’elle fut achevée, le jeune homme salua respectueusement la fenêtre. Don Pierre se dit :

— Elle était là !…

— Est-ce que ce récit vous fatigue ? demanda Harriet.

— Poursuivez ! poursuivez ! je vous prie, répondit Conrad dont les yeux brillaient.

Don Pierre aborda le jeune homme, et, s’inclinant, lui dit :

— Seigneur lieutenant, je me nomme don Pierre de Luna et suis le gouverneur de la ville. J’aime doña Carmen ; on a l’intention de vous la donner, et, si vous daignez me faire cette faveur insigne de renoncer à elle, je vous remercierai à deux genoux ! Il n’est sacrifice autre que celui-là dont je ne sois prêt à vous faire hommage ; sachez, en outre, que je ne médite rien d’offensant. Mon mariage va être rompu ; j’ai l’intention de mettre mon nom aux pieds de la fille de doña Pilar.

— Seigneur gouverneur, repartir le lieutenant, en toute autre rencontre je suis votre esclave. En celle-ci, j’oublierai, par respect, ce que vous venez de proférer.

— Je vous en conjure, cavalier, épargnez-moi ! Je vous en supplie, écoutez-moi ! Soyez généreux ; vous n’aimez pas Carmen comme je l’aime !

— Don Pierre, un mot de plus, et je me tiens pour insulté.

— À Dieu ne plaise ! J’ai tous les torts ; mais je n’y puis rien. Cédez-moi !…

— Puisque vous persistez, vous et mon honneur ne pouvant rester en vie, l’un des deux va disparaître.

À ces mots, le lieutenant se mit en garde.