Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/26

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de personnes, hommes, femmes, enfants, de toutes nations possibles, dans l’individualité desquelles les atomes les plus précieux de leurs plus précieux ancêtres auraient réussi à se réunir, en expulsant ce que des intrusions fâcheuses y auraient apporté de mélanges stupéfiants ou énervants pendant des séries plus ou moins longues de générations précédentes, et il en résulterait qu’en fait, ces gens-là, dans quelque situation sociale que le Ciel les ait fait naître, seraient les vrais fils survivants des hommes de Rollon et voire des Amâles et des Mérowings ?

— Évidemment, répondit Nore, il en est comme vous le dites. Bien des siècles ont passé depuis que, les esclaves et fils d’esclaves relevant la tête, la société moderne a commencé son sabbat. Le nombre des coquineries a été incalculable. Les braves gens, poussés dans l’abîme par la foule des pieds plats, ne se sauraient compter. Pourtant, au fond de l’abîme, tous ne sont pas morts ; beaucoup ont vécu tant bien que mal ; quelques-uns se sont rattrapés, lentement, lentement, aux anfractuosités du roc, aux touffes d’herbes, aux branches des buissons. Ils sont revenus à la surface du sol, souillés, meurtris ; il a fallu du temps pour les débarbouiller ; d’ailleurs, je n’ai pas la prétention de dire qu’ils soient absolument parfaits, et c’est ainsi que je vous présente en ma personne unie aux vôtres, trois calenders, borgnes de l’œil droit et fils de rois.

— Vous m’ouvrez un horizon qui me frappe et m’arrête, dit Laudon, et pour me servir du mot qui vous plaît, à quel nombre supposez-vous que puisse s’élever aujourd’hui dans le monde le nombre des fils de rois ?

— Peuh ! repartit Nore, que sais-je ? Vous me proposez là une question de statistique dont les moyens de solution sont assez maigres. Mais consultez un peu, dans