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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/263

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lui raconta, sans ménagement pour elle-même, sa scène avec Jean-Théodore, et, cette fois, jugea sainement le dévouement faux qu’elle avait cru ressentir pour son mari, mais qu’elle s’était imposé, et elle finit par sa rencontre avec les Gennevilliers. Dans cette deuxième partie de son récit, il lui revint des bouffées d’ironie dont elle reconnut le méchant caractère.

En finissant, elle mit la main sur celle de son ami, et le regardant avec douceur :

— Assez d’égoïsme, maintenant. Parlez, c’est de vous qu’il s’agit. Travaillez-vous ?

— Peu et mal.

— Il faut travailler beaucoup et bien ! En cela, je vous servirai. Je prétends devenir utile à qui m’aime, puisque je ne peux rien de plus. À dater d’aujourd’hui, confiez-moi ce qui vous touche, vous occupe, vous inquiète. Je serai dans votre vie comme un flambeau d’une douce lumière. Je veux vous devenir nécessaire.

— Eh bien ! dit le pauvre Conrad, que Dieu vous bénisse pour toutes ces paroles et vous rende au centuple votre charité envers moi !

Quand Jean-Théodore reçut la lettre où la comtesse lui rapportait la reprise de ses relations avec le jeune sculpteur, il fut irrité ; l’orgueil offensé du souverain dépassa de beaucoup la déconvenue de l’amant. Pendant plusieurs jours, il se laissa aller à des mouvements de mépris qui confinaient à la haine, mais il ne prit pas de confidents ; il se répéta cette maxime de la sage antiquité : « Tout personnage placé haut doit s’interdire les mouvements vifs. » Il ne dit rien au professeur Lanze ; il ne dit rien à personne. Bientôt un dédain absolu remplaça les brusqueries de la première irritation ; puis sa générosité naturelle, le tour chevaleresque de son imagination achevèrent