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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/264

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de lui imposer le calme. Voici un passage de la lettre par laquelle il répondit à madame Tonska :

« En tant que j’en aurais quelque droit, je vous rends donc toute votre liberté à l’un et à l’autre, et souhaite sincèrement que ce soit pour votre bonheur. Je n’en veux point à Conrad. Il a mon amitié entière. Loin de moi l’idée d’être vengé. Je le serai pourtant. Vous ne vous convenez en aucune façon. Plus tard, je vous donnerai les motifs de mon opinion, quand il sera bien évident que mes explications ne sont pas des plaintes. Adieu. »

Pour bien exposer, dépeindre, faire comprendre la vie qui commence entre l’amie et l’amant, il faudrait trouver une comparaison dont l’exactitude laissât peu à désirer. Cette vie ressembla à un paysage des pays du Nord. Une terre froide, humide, tourbeuse, sombre, mais couverte d’un gazon court, vert comme l’émeraude. Des lacs infiniment prolongés, embrassés dans des bois silencieux ; dans ces bois, le feuillage rigide des sapins, les troncs rouges des pins, les masses flexibles, tombantes, argentées, éplorées des bouleaux, de grands chênes, des rochers couverts de mousses et des sentiers perdus. Un ciel bleu et pur, mais si triste ! Un soleil clair, mais si froid ! Des sourires, pourtant, dans toute la nature, de la bonté partout, et partout, comme âme de cette création d’un Dieu souffrant, une inénarrable mélancolie.

Il est fort ordinaire à une femme qui aime ou croit aimer de s’écrier avec attendrissement : Dis-moi tout ce qui te regarde ! Confie-moi tes peines ! Fais que je sois au courant de tes travaux, de tes affaires, de tes soucis ! Je veux être ton amie, ta conseillère et ta sœur ! Rien de plus affectueux que cette ambition ; rien de plus difficile à