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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/291

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cessaire. Les dettes furent payées, et Jean-Philippe avait été tellement épouvanté, qu’à dater de ce jour il devint avare avec autant d’emportement et d’égoïsme qu’il avait été prodigue.

Guillaume, dégoûté, quitta Burbach. Il entra au service d’Autriche. Son rang lui assurait des déférences mais ne lui donna pas de faveur. Il ne voulut pas vivre à la Cour ; on l’employa comme on eût fait de tout autre militaire, et hors qu’il parvint assez vite au grade de général major d’où il ne bougea plus, rien ne distingua sa carrière de celle de ses compagnons étrangers.

Pauvre, digne, ayant besoin non d’hommages mais d’estime, il fit strictement son devoir et mena une vie des plus exemplaires. Pendant la durée d’un long commandement exercé en Dalmatie, il eut l’occasion de connaître une jeune personne de bonne naissance, au moins aussi pauvre que lui, sinon davantage, et l’ayant aimée avec une chaleur que les déconvenues n’avait pas éteinte, il demanda sa main et en fit sa femme. Ce fut surtout ce qui l’empêcha de devenir feld-maréchal-lieutenant, car cette union fit scandale. S’il avait choisi une cantatrice, quelque femme douteuse, mais très en vue, on se serait récrié contre sa folie ; cependant, suivant la façon dont le monde raisonne, on aurait confessé l’entraînement des passions et on se fût montré indulgent. Mais un prince s’allier à une pauvre petite demoiselle, née, élevée dans une bourgade dalmate ! Bien élevée, mais si obscure ! charmante, mais d’une beauté de province ! Vertueuse, mais, mon Dieu, de quelle vertu bourgeoise ! Le prince Guillaume était un pied-plat ; sa conduite tombait au-dessous du vice. Le prince régnant, Jean-Philippe, jeta feu et flammes ; lui et sa femme écrivirent dans toutes les Cours pour dénoncer la conduite de celui qui les désho-