Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/8

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pierrot, certain d’être tout semblable, je me battis de mon mouchoir, je frappai des pieds, je soufflai et exprimai avec passion le désir de trouver un bassin d’eau où plonger la tête et les mains. Mon compagnon s’unissait avec plus de modération à mon dithyrambe, ce qui ne l’empêchait pas de questionner les enfants assemblés autour de personnages aussi intéressants que le sont toujours des voyageurs tombant du ciel, et il eût sans doute obtenu sur ces petites créatures, leurs idées, leurs intentions, leurs pères et leurs mères, leurs ascendants, jusqu’à un degré d’une antiquité incroyable, les détails les plus complets, si l’hôtelier, M. Camossi lui-même, n’avait réussi, en joignant ses efforts aux miens, à lui faire entendre que deux aiguières, des serviettes, un repas complet, tout était prêt, que ce bien n’attendait que lui, et, enfin, que la malle-poste restait à Aïrolo une demi-heure, pas davantage.

Frappé de cette vérité et de ce qui en découlait de grave, le sculpteur se décida à interrompre ses communications avec la jeunesse tessinoise, enfonça la main dans sa poche, en tira une poignée de menue monnaie, la lança à toute volée au travers de la rue et, tandis que la bande des jeunes citoyens et des jeunes citoyennes du canton se précipitait en tas sur cette proie, nous faisions notre entrée dans l’auberge.

Conrad m’amusait, ou, plutôt, il me plaisait et m’intriguait ; depuis quinze jours, nous étant rencontrés à Zurich, nous nous étions pris d’un bel amour l’un pour l’autre, et nous avions provisoirement uni nos destinées de voyageurs. Je ne découvrais pas en lui un seul côté qui me fût tant soit peu désagréable.

Il était artiste et ne portait pas de longs cheveux ; il s’habillait comme tout le monde ; il pratiquait les us et