Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/14

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avec sa plume, le futur auteur des Pléïades, sans chercher plus loin, collabore aux journaux, inonde les périodiques de ses productions, contes, nouvelles, romans en prose ou en vers, et ne se fie qu’à sa fantaisie, guidée déjà par un sûr instinct d’observateur. Elle met en lumière les deux qualités maîtresses de notre écrivain : le don de psychologie et cette froide et terrible ironie dont il ne se départira jamais, étant juste le contraire d’un moraliste. De ce fait, Gobineau réussit moins dans la peinture de la grâce que dans celle des passions violentes. Il décrit mieux les grimaces que les sourires, les âmes noires que les cœurs candides. La tendre Emmelina, si déshéritée par la nature et d’une si touchante virginité, n’excite pas notre auteur au même degré que le tempérament brutal de M. Irnois “mal bâti, grand, maigre, sec, jaune, pourvu d’une énorme bouche mal meublée et dont la mâchoire massive aurait été une arme terrible dans une main comme celle de l’Hercule hébreu”, ou que la physionomie de coquin du Comte Cabarot, perdu de mœurs et qui “pour six cent mille livres de rentes, et même pour beaucoup moins, aurait sans hésiter donné sa main à Carabosse avec tous les travers de taille et les monstruosités d’humeur de cette fée célèbre”, car le Comte Cabarot, ajoute Gobineau, “était un homme positif”.

L’auteur de Mademoiselle Irnois est tout entier dans sa manière de camper ses types, de nous donner en quelques mots aigus la substance d’un caractère. La façon dont Irnois, “suffisamment inepte”, fait fortune au coin d’un bois, est de la meilleure ironie. Je sais peu de scènes plus piquantes que celle où ce futur milliardaire, alors chemineau, est recueilli par une femme philosophe, un soir que cette parente de Mme Du Deffant reçoit à sa table Diderot, Rousseau et Grimm. “Le récit du vagabond déguenillé servit de texte heureux à différentes considérations