Aller au contenu

Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cacha et avec lui ses pistoles, et il ne sortit de son trou pour friponner la République, que lorsque le fort de la tourmente fut passé. Il réussit assez dans le tripotage des assignats. Pourtant ses triomphes dans ce genre ne furent rien, comparés à ses exploits dans les fournitures de souliers. Il avait eu le bon esprit, par couardise, de se mettre à l’abri derrière quelques esprits aventureux, auxquels il se contentait de prêter de l’argent et qui, eux, agissaient en leur propre et privé nom auprès du gouvernement. Il vit arriver des monts d’or dans ses caisses ; et au comble de l’enivrement, Bonaparte était déjà consul à vie, qu’il se considérait encore comme le plus grand homme du siècle.

Un beau jour il prit femme. La compagne qu’il choisit pour perpétuer sa race était la fille d’un spéculateur comme lui, Mlle Maigrelut ; et ce ne fut pas la moindre faveur de son étoile que de la lui avoir donnée simple, sotte et ennemie du faste et des plaisirs, comme lui-même était. Avec elle il épousa, en quelque sorte, Mlles Catherine et Julie Maigrelut, les sœurs, que la ruine et la mort de leur père firent tomber bientôt dans son ménage. Il ne s’en plaignit pas. Il avait, comme il se plaisait à le dire, de quoi tremper la soupe pour tout le monde ; et, aimant peu les assemblées, les visites, les plaisirs mondains, et sentant que la capacité de l’esprit de Mlles Maigrelut et de Mme Irnois se haussait précisément à la hauteur du sien, il trouvait du charme dans leur société, ce qui le dispensait de sortir de chez lui.