Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/75

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bonheur, le mystère fut commandé plus impérieusement encore par le vœu secret de son âme. Il lui devint si nécessaire, le contraire lui parut si odieux, si mortel pour le sentiment qui l’animait, que son caractère prit une nouvelle allure. Ce fut à ce moment qu’elle eut ces accès de volonté dont chacun s’étonna et qu’elle habitua parents et domestiques à ne pas entrer chez elle avant d’avoir prévenu par un coup frappé à la porte. Alors, avertie, elle se rejetait en arrière dans son fauteuil, poussait sa croisée, et recevait le visiteur bien ou mal, suivant sa disposition du moment, plus souvent mal que bien, car on la troublait ; bref, elle vivait pour la première fois.

Ce grand mystère dont elle entourait sa passion montre bien qu’il y entrait quelque chose des sens. L’âme a sa pudeur, sans doute ; mais cette pudeur-là n’est, chez les amoureux, qu’un reflet des flammes qui brûlent ailleurs dans leur être.

Un jour Emmelina reçut une impression bien inattendue et bien singulièrement obscure d’un événement qui paraîtra fort naturel. Il commençait à se faire tard ; c’était vers huit heures du soir en été, et l’on sait qu’à ce moment, bien que la clarté du ciel soit encore assez vive, le cristal des airs commence pourtant à se mélanger de quelques teintes plus ternes.

La journée avait été chaude, et tout le jour Emmelina avait vu son tourneur, la figure échauffée par le travail, les cheveux en désordre et sa chemise entrouverte, sans cravate, livrant sa blanche poitrine aux souffles d’air qui peuvent s’égarer au-dessus des toits de Paris.