Page:Gobineau - Mademoiselle Irnois - 1920.djvu/87

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trée par quelque voyageur allemand, celui-ci l’aurait prise pour une de ces séduisantes ondines dont les charmes surnaturels passaient avec raison pour irrésistibles.

À cette apparition singulière, le jeune homme s’effraya presque. Il ôta respectueusement son bonnet, hésita une minute, regarda Emmelina croyant qu’elle allait dire quelque chose ; mais elle ne dit rien. Elle se contentait de le regarder avec l’expression la plus poignante que l’on puisse se figurer. Elle restait la tête rejetée en arrière, les yeux fixés sur lui, se tenant au bras de Jeanne qu’elle serrait avec force et ne trouvant pas un seul mot à articuler. Ce qu’elle éprouvait n’était pas à la vérité facile à dire. Des personnes plus habiles que la jeune fille à reconnaître leurs sentiments, à démêler leurs impressions n’en seraient certainement pas venues à bout, si elles se fussent trouvées sous le poids de la passion véhémente qui dominait à cette heure Emmelina. Elle était plongée dans une situation analogue à celle des extatiques qui, par la force de la prière, se sont comme élevés au-dessus du sol.

L’ouvrier, voyant que Mlle Irnois ne lui parlait pas, se dit en lui-même : — “En voilà une folle !”

Il gagna la porte, l’ouvrit, passa, la referma et descendit l’escalier pour gagner l’autre corps de logis où était sa chambre.

Emmelina se mit à pleurer.

— “Qu’as-tu, ma petite ? demanda la vieille Jeanne. Pourquoi pleures-tu, mon enfant ? pourquoi regardais-tu ce garçon comme tu as fait ? Est-ce qu’il te donnait peur ?”