Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/104

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la plus captivante des révélations. Tout d’un coup, l’horreur remplaçait la joie ; les traits de Kassem se tiraient, sa bouche s’entrouvrait, ses regards devenaient fixes. Il paraissait apercevoir des abîmes effroyables, se penchant au-dessus au risque de perdre l’équilibre et de rouler au fond. Toute la nuit se passa à écouter les discours, qui produisaient des révolutions si terribles dans son âme et bouleversaient ainsi ses pensées. Enfin, l’aurore blanchit les sommets de la terrasse, et le derviche, qui l’avait plusieurs fois engagé en vain à chercher un peu de repos, insista cette fois plus fortement, et jura qu’il ne parlerait plus et ne révélerait rien davantage.

Kassem était épuisé, haletant ; il obéit ; le derviche resta seul dans le salon et s’étendit sur le sopha, tandis que lui, il s’en alla, soucieux et d’un pas chancelant, à travers les corridors étroits, descendit, puis monta quelques marches, et, soulevant une portière, entra dans l’enderoun. Le nègre dormait sur une natte de paille dans la première pièce, où la lueur grise de l’aurore luttait faiblement contre la clarté rougeâtre et fumeuse d’une petite lampe de terre, qui teignait encore les objets atteints par elle, tandis que le reste demeurait plongé dans une obscurité presque noire. De là, le jeune homme entra dans la chambre où sa femme dormait paisiblement sur leur vaste lit, qui, recouvert d’immenses étoffes de soie bariolées d’incarnat, de vert et de jaune, à la façon du tartan écossais, laissait ça et là apparaître le drap d’indienne grise, rehaussé de fleurs de diverses nuances. Les oreillers, en grand nombre, de toutes formes et de toutes grandeurs, les uns triangulaires, les autres carrés, d’autres ronds, s’affaissaient sous la tête de la donneuse, soutenaient ses bras ou gisaient au hasard.

Kassem contempla un moment la jolie Amynèh et poussa un soupir. Puis, il alla s’asseoir, sombre et préoccupé, dans un coin de la chambre, et resta là sans bouger.

Il tenait le lingot d’or fortement serré dans sa main, et ne l’avait pas quitté, depuis que l’Indien le lui avait remis. De temps en temps, il le regardait, il le contemplait, il s’enivrait et s’exaltait de cette vue ; c’était la preuve matérielle que tout ce qui s’agitait dans sa tête