Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/105

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n’était pas un rêve, mais une franche et ferme réalité. Il regardait ce lingot d’or, et ses yeux se fermaient, et, tout à coup, dans un demi-assoupissement, il lui semblait que le morceau de métal se gonflait dans la paume de sa main, et respirait, que c’était un être animé. Il se réveillait en sursaut, dans un état d’angoisse indescriptible, considérait encore cette merveille dont il était devenu le possesseur, la trouvait immobile comme un morceau de métal doit l’être, et, fermant de nouveau ses paupières, sommeillait, emporté dans le tourbillon de ses idées. Enfin, la lassitude fut victorieuse de la méditation, et Kassem s’endormit profondément.

Un baiser sur le front le réveilla. Il regarda. Amynèh était à genoux à côté de lui, le pressait entre ses bras, et lui disait :

— Es-tu malade, mon âme ? Pourquoi ne t’es-tu pas couché cette nuit ? Oh ! saints Imams ! Il est malade ! Qu’as-tu, ma vie ? Ne veux-tu pas parler à ton esclave ?

Kassem vit qu’il était grand jour, et, rendant à sa femme le baiser qu’il en avait reçu, il lui répondit :

— La bénédiction soit sur toi ! Je ne suis pas malade, grâce à Dieu !

— Grâce à Dieu ! s’écria Amynèh.

— Non, je ne suis pas malade.

— Qu’as-tu donc fait hier au soir avec ce derviche étranger ? Est-ce que, contrairement à tes habitudes, tu aurais bu de l’eau-de-vie et mangé des grains de pastèque rôtis pour te donner plus de soif ?

— Dieu m’en préserve ! s’écria Kassem ; rien de semblable n’a eu lieu ; nous avons seulement causé très tard de ses voyages… Où est-il, mon hôte ? Il faut que j’aille le rejoindre.

Et, en parlant ainsi, Kassem se mit sur ses pieds ; mais Amynèh continua :

— Le jour est déjà haut depuis longtemps et le soleil n’était pas levé, quand notre nègre, Boulour, a vu le derviche accroupi dans la cour auprès du bassin ; il disait ses prières et accomplissait les ablutions légales. Ensuite, il a fait cuire, dans une coupe de cuivre, un peu de riz sur lequel il a jeté une pincée de sel ; il l’a mangé et est parti.