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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/145

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de confitures, de pâtisseries, de vin de Shyraz et de raki, ce qui n’était pas probable. On se résignait donc. On empruntait, à ses amis, aux marchands, aux Juifs, et, comme c’était une opération toujours difficile, attendu que le Khan jouissait d’un faible crédit, on livrait des habits, des tapis, des coffres, ce qu’on avait. Lorsque le bonheur venait à sourire et laissait tomber quelque pièce de monnaie dans les mains du ménage, on appliquait un système financier très-sage : on s’amusait avec un tiers de l’argent ; avec l’autre, on spéculait ; avec le troisième, on dégageait quelque objet regretté ou bien on amortissait la dette publique. Cette dernière combinaison était rare.

Il ne faut pas chercher loin les causes d’une situation si triste : des gens moroses et inquiets prétendaient les trouver dans le désordre et l’imprévoyance chronique des époux. Pure calomnie ! L’unique raison, c’était l’indifférence coupable des contemporains pour les gens de naissance et de talent. L’art était dans le marasme, il faut tout dire, et ce marasme tombait droit sur Mirza-Hassan-Khan et sa femme Bibi-Djânèm. Les kalemdans ou encriers peints se vendaient mal ; les coffrets étaient peu demandés ; des concurrents déloyaux et sans le moindre mérite fabriquaient des dessous de miroirs dont ils auraient dû rougir, et n’avaient pas plus de honte de les abandonner à vil prix ; enfin, les reliures de livres passaient de mode. Le peintre, quand il arrêtait sa pensée sur ce déplorable sujet, débordait en paroles amères. Il se considérait comme la dernière et la plus pure gloire de l’école de Shyraz, dont les principes hardiment coloristes lui semblaient supérieurs aux élégantes manières des artistes Ispahanys, et il ne se lassait pas de le proclamer. Personne, à son gré, ne l’égalait… comment ! ne l’égalait, ne l’approchait dans la représentation vivante des oiseaux ; on eût pu cueillir ses iris et ses roses, manger ses noisettes, et quand il se mêlait de représenter des figures, il se surpassait lui-même ! Sans aucun doute, si ce fameux Européen qui a composé autrefois une image d’Hezrêt-è-Mériêm (Son Altesse la Vierge-Marie), tenant sur ses genoux le prophète Issa dans sa petite enfance (la bénédiction de Dieu soit sur lui et le salut ! ), avait pu contempler la