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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/144

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encore debout en ce temps-là, n’ayant pas été secoué par les tremblements de terre. Cette demeure, où l’on entrait par une porte basse, percée dans un mur sans fenêtres ni lucarnes, consistait en une cour carrée de huit mètres de côté, avec un bassin d’eau au centre et un pauvre diable de palmier dans un coin. Le palmier ressemblait à un plumeau en détresse et l’eau du bassin croupissait. Deux chambres en ruines n’avaient plus de toitures ; une troisième restait à moitié couverte ; la quatrième tenait bon. Le peintre y avait établi son Enderoun, c’est-à-dire l’appartement de sa femme, Bibi-Djânèm (madame Mon Cœur), et il recevait ses amis dans l’autre pièce, où l’on jouissait de l’avantage d’être moitié à l’ombre et moitié au soleil, puisqu’il ne restait qu’un fragment de plafond. Du reste, Mirza-Hassan-Khan vivait en parfaite intelligence avec Bibi-Djânèm, toutes les fois que celle-ci n’était pas contrariée. Mais si, par hasard, elle avait à se plaindre d’une voisine, si on lui avait tenu au bain, où elle passait six à huit heures le mercredi, quelque propos douteux quant aux mœurs ou aux allures de son époux ; alors, il faut l’avouer, les coups pleuvaient sur les oreilles du coupable. Aucune dame de Shyraz, ni même de toute la province de Fars, ne pouvait prétendre à manier cette arme dangereuse, la pantoufle, aussi adroitement que Bibi-Djânèm, passée maîtresse en ce genre d’escrime. Elle vous saisissait l’instrument terrible par la pointe, et, avec une adresse merveilleuse, assénait de ça, de là, le talon ferré sur la tête, sur la figure, sur les mains de son malheureux conjoint ! Rien que d’y penser donne le frisson ; mais encore une fois, c’était un ménage heureux ; de pareilles catastrophes ne se renouvelaient guère plus souvent que deux fois par semaine, et, le reste du temps, on fumait ensemble le kalyan, on prenait du thé bien sucré dans de la porcelaine anglaise, et on chantait les chansons du Bazar en s’accompagnant avec le kémantjeh.

Mirza-Hassan-Khan se plaignait, non sans raison, de la dureté des temps qui, le plus souvent, l’obligeait à tenir engagée la majeure partie de ses effets et quelquefois ceux de sa femme. Mais, à moins de se résigner à cet ennui, il n’aurait jamais fallu songer à se régaler