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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/149

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Gambèr-Aly se plaignit à sa mère, qui fit une irruption chez le professeur, lui jeta à la tête les trois sous qu’elle lui devait pour le mois échu et lui déclara net qu’il ne verrait plus son fils.

Au-sortir de cette école, le petit bonhomme passa sur l’établi de Moulla-Iousèf, où il étudia six mois ; après ce temps, l’école ferma, attendu que le maître se fit droguiste et abandonna le turban blanc de la science pour le bonnet de peau de la vie civile. Le troisième instituteur de Gambèr-Aly fut un ancien mousquetaire d’un ancien gouverneur dont la tradition ne savait plus qu’un trait, c’était d’avoir eu le cou coupé. Moulla-Iousèf, quand il parlait de ce patron, assurait d’un air convaincu que le juge n’avait pas prévariqué. Pour lui, il était doux, aimait les enfants, ne les battait pas, vantait leurs progrès et recevait, outre son salaire régulier, beaucoup de petits cadeaux des mères, enchantées de ses façons d’être ; sa maison voyait affluer les gâteaux au miel, les pâtisseries en farine crue pétrie dans la graisse de mouton et saupoudrées de sucre, sans compter les fruits confits et le raki.

À seize ans, Gambèr-Aly avait terminé son éducation. Il lisait, écrivait, calculait ; il connaissait par cœur toutes les prières légales, pouvait même chanter les ménadjâts, savait un peu d’arabe, récitait d’une voix très-agréable quelques poésies lyriques et des fragments d’épopée, et aimait sincèrement ses parents. Il éprouvait une envie folle de courir les aventures et de s’amuser à tout prix, sauf au prix de sa peau, car il était extrêmement poltron.

Cette qualité ne l’empêcha pas, non plus que la plupart de ces condisciples entrés en même temps que lui dans le monde, de prendre les façons, les allures, le débraillé, qui, en Perse, caractérisent ce qu’on nomme en Andalousie les majos, c’est-à-dire les jeunes gens élégants de la basse classe. Il eut de larges pantalons de coton bleu, fort sales, une tunique de feutre gris à doubles manches tombantes, la chemise ouverte et laissant sa poitrine libre, le bonnet sur l’oreille, le gâma ou sabre large et pointu à deux tranchants, tombant sur le devant de sa ceinture et servant d’appui à sa main droite, tandis que