Aller au contenu

Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de la gauche il tenait une fleur, quelquefois placée dans sa bouche. Cette allure de fanfaron lui seyait à merveille. Il avait des cheveux bouclés d’un noir admirable, des yeux peints de kohol, aussi beaux que ceux d’une femme, une taille de cyprès, et, dans tous ses mouvements, de la grâce à revendre.

Dans cette jeunesse et cet équipage, il fréquentait les taverniers arméniens ; il y trouvait, sans doute, peu de musulmans rigides, mais, en revanche, beaucoup d’étourneaux de son espèce, des vagabonds dangereux, de ceux que l’on appelle loûtys ou dépenaillés, et qui regardent aussi peu à donner un coup de couteau pour passer leur colère qu’à se verser un verre de vin ; en un mot, il voyait fort mauvaise compagnie ; ce qui, pour beaucoup de gens d’humeur joviale, équivaut à s’amuser parfaitement.

Où se procurait-il l’argent indispensable à cette existence délicieuse ? C’est ce que, pour bien des raisons, on aurait tort de rechercher de près, et cette façon de s’établir des rentes aurait pu le conduire où il n’avait pas envie d’aller, si sa destinée, dirigée ou prévue par l’habileté de l’astrologue, n’avait tracé assez promptement la ligne qu’il devait suivre, et cet événement arriva un des premiers jours de la pleine lune de Shâban. Vers quatre heures après la prière du soir, il s’était rendu dans un bon petit cabaret assez peu éloigné du tombeau où dort le poète Hafyz.

Il y avait là belle assemblée : deux Kurdes de mauvaise mine, un moulla de ceux qui vendent des contrats de mariage pour des termes de deux jours, vingt-quatre heures et au-dessous, manière de morale peu approuvée par la partie pédante du clergé ; quatre muletiers, fort gaillards, que l’aspect des Kurdes n’intimidait nullement, deux petits jeunes gens, les pareils de Gambèr-Aly, un énorme toptjy ou artilleur, originaire du Khorassan, long à n’en plus finir, mais large à proportion, ce qui rétablissait l’équilibre ; plus un pishkedmèt ou valet de chambre du prince-gouverneur, venu là en contrebande. L’Arménien, hôte du logis, étendit une peau de bœuf sur le tapis, et apporta successivement des amandes grillées, ce qui excite à boire,