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INTRODUCTION

n’est pas plus enclin à cette paresse que le philosophe attaché à la solution d’un problème. Celui-ci poursuit un résultat tout comme l’autre, et, d’ordinaire, n’est pas assez difficile sur la valeur absolue de ce qu’il élabore et dont il se contente comme d’un résultat effectif et de bon aloi. Parmi les hommes voués à l’examen de la nature humaine, les moralistes surtout se sont pressés de tirer des conclusions de belle apparence ; ils s’en sont tenus là, et, par conséquent, ils se perdent dans les phrases. On ne se rend pas très bien compte de ce que vaut un moraliste, à quoi il sert depuis le temps que cette secte parasite s’est présentée dans le monde ; et les innombrables censures qu’elle mérite par l’inconsistance de son point de départ, l’incohérence de ses remarques, la légèreté de ses déductions, auraient bien dû faire classer, depuis des siècles, ses adeptes au nombre des bavards prétentieux qui parlent pour parler et alignent des mots pour se les entendre dire. Au nombre des non-valeurs que l’on doit aux moralistes, il n’en est pas de plus complète que cet axiome : « L’homme est partout le même. » Cet axiome va de pair avec la grande prétention de ces soi-disant penseurs de réformer les torts de l’humanité, en faisant admettre à celle-ci leurs sages conseils. Ils ne se sont jamais demandé comment ils pourraient réussir à changer ce mécanisme humain qui crée, pousse, dirige, exalte les passions et détermine les torts et les vices, cause unique en définitive de ce qui se produit dans l’âme et dans le corps.

Au rebours de ce qu’enseignent les moralistes, les hommes ne sont nulle part les mêmes. On s’aperçoit sans peine qu’un Chinois possède deux bras et deux jambes, deux yeux et un nez comme un Hottentot ou un bourgeois de Paris ; mais il n’est pas nécessaire de causer une heure avec chacun de ces êtres pour s’apercevoir et conclure qu’aucun lien intellectuel et moral n’existe entre eux, si ce n’est la conviction qu’il faut manger quand on a faim et dormir quand le sommeil presse. Sur tous les autres sujets, la manière de colliger des idées, la nature de ces idées, l’accouplement de ces idées, leur

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