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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/178

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donna au fils de Bibi-Djanèm une inspiration subite et une espèce de courage. Sans plus consulter, il courut à l’entrée de la cour et la franchit, il parcourut les rues rapidement, tourna à gauche et se trouva contre les murailles de la ville. Il ne lui fut pas difficile d’y découvrir un trou ; il se laissa dévaler dans le fossé, et, remontant la contrescarpe, il partit grand train à travers le désert. Les chacals piaulaient mais il ne s’en souciait pas. Une ou deux hyènes lui montrèrent leurs yeux phosphorescents et s’enfuirent devant lui. Les gens d’imagination forte n’ont jamais qu’une seule sensation à la fois. Gambèr-Aly avait trop peur des parents de Kérym pour redouter autre chose. Il courut ainsi sans s’arrêter, sans prendre haleine, pendant trois heures, et le jour pointait, quand il entra dans le bourg de Shahabd-Oulazym. Il ne s’amusa pas à en regarder les maisons ; mais, précipitant encore sa fuite, il arriva devant la mosquée au moment où le jour naissait ; il ouvrit brusquement la porte, se précipita sur le tombeau du Saint, et, comme il se sentit sauvé, il s’évanouit tranquillement.

Abdoulazym était, en son temps, un très-pieux personnage, agnat ou cognat de Leurs Altesses Hassan et Houssein, fils de Son Altesse le cousin du Prophète, que le salut soit sur lui et la bénédiction ! Les mérites d’Abdoulazym sont immenses ; mais, en ce moment, Gambèr-Aly n’en appréciait qu’un seul, c’est que la mosquée, au dôme doré, bâtie sur le tombeau du Saint, est, de tous les asiles, le plus inviolable. De sorte que, une fois arrivé là, Gambèr-Aly se voyait aussi en sûreté qu’il l’avait été quelque dix-huit ans en deçà sous le sein précieux de Bibi-Djanêm. Quand il se fut assez rafraîchi dans l’état de syncope, il revint à lui et s’assit au pied du tombeau. Il n’était pas seul ; un homme à figure sale et terreuse se tenait à son côté.

— Calmez-vous, mon garçon, lui dit ce bonhomme. Quels que soient vos persécuteurs, vous êtes ici en parfaite sécurité, et autant que moi-même.

— Que votre bonté ne diminue pas ! repartît Gambèr-Aly. Oserais-je vous demander votre noble nom ?

— Je m’appelle Moussa-Riza, répliqua l’étranger d’un air assuré ;