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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/179

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je suis européen et même français, et on me nomme, parmi mes compatriotes, M. Brichard. Mais j’ai embrassé l’Islamisme, par la grâce de Dieu, pour arranger quelques petites affaires que j’avais en souffrance, et le ministre de ma nation a l’indignité de vouloir me faire sortir de Perse. Je reste donc ici, afin de ne pas tomber dans ses mains, et je fais des miracles pour prouver la grandeur de notre auguste religion.

— Que la bénédiction soit sur vous ! dit Gambèr-Aly dévotement ; mais il prit peur de cet Européen défroqué et se résolut à le surveiller exactement. La visite du préposé à la mosquée, qui eut lieu dans la matinée, lui fut plus agréable ; on lui donna à manger, on lui promit pour tous les jours un bon ordinaire fondé sur les dotations du lieu, et on lui garantit que personne ne s’aviserait de le tourmenter dans le sanctuaire vénérable où il avait eu le bonheur de se retirer. On voulut même lui persuader de ne pas se confiner à l’intérieur de la mosquée ; il pouvait, sans crainte, vaguer à son aise dans les cours, fût-ce à la barbe du chef de police ; mais il n’entendit pas de cette oreille. En vain les réfugiés, assez nombreux habitants de cette partie plus vaste du territoire consacré et faisant leur ménage dans tous les coins, lui offrirent l’attrait d’une conversation aimable et enjouée, et mille occasions de dresser quelque petit commerce ; il avait trop peur, il ne voulut jamais s’éloigner du saint tombeau. Il leur était aisé, à ces autres, de se confier à une protection modérée ! Qu’avaient-ils fait, après tout ? Volé quelque marchand ? Escroqué leur maître ? Fâché un employé subalterne ? Il était clair que, pour de pareilles peccadilles, on n’irait pas enfreindre les prérogatives de la mosquée et s’attirer l’indignation du clergé et de la populace ; mais lui ! c’était bien une autre affaire ! Il avait eu le malheur de tomber sur cet imbécile de Kérym, qui s’était laissé mourir bêtement. Il avait du sang sur lui, de plus, l’inimitié de ce scélérat de ferrash-bachi le poursuivait. Ce n’était pas trop que du tombeau, que des cendres du saint Imam pour le garantir ; encore l’Imam aurait-il dû ressusciter et venir lui-même. Ils s’obstina donc à tenir compagnie à Moussa-Riza. Ces deux