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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/217

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— Le malheur s’est abattu sur le régiment, me répliqua l’officier avec un sanglot. L’auguste gouvernement a résolu d’exterminer la nation turkomane, et nous avons l’ordre de partir demain pour Meshhed !

À cette nouvelle, je sentis mon cœur se serrer et je fis comme les autres : je m’assis et je pleurai.

Les Turkomans sont, comme chacun sait, des gens terribles. Ils font constamment des incursions, qu’ils appellent « tjapaô », dans les provinces de l’Iran Bien Gardé qui avoisinent leurs frontières, et ils enlèvent par centaines les pauvres paysans. Ils vont les vendre aux Ouzbeks de Khiva et de Bokhara. Je trouve naturel que l’auguste gouvernement ait pris la résolution de détruire jusqu’au dernier de ces pillards, mais il était extrêmement pervers d’y envoyer notre régiment. Nous passâmes donc une partie de la nuit à nous désoler ; pourtant, comme tout ce désespoir ne nous avançait à rien, nous finîmes par nous mettre à rire, et nous étions de très-bonne humeur quand, à l’aube du jour, des hommes du régiment de Damghan vinrent nous remplacer. Nous prîmes nos fusils, et, après une bonne heure employée à faire nos adieux à nos amis du quartier, nous sortîmes de la ville et allâmes rejoindre le reste du régiment, qui était rangé en bataille devant la porte de Dooulèt. J’appris alors que le roi, lui-même, allait nous passer en revue. Il y avait là quatre régiments ; chacun devait être d’un millier d’hommes, mais, par le fait, n’en comptait guère plus de trois ou quatre cents. C’était le nôtre, le second du Khamsèh, un régiment d’Ispahan, un autre de Goum et le premier d’Ardébyl ; puis deux batteries d’artillerie et à peu près mille cavaliers des Sylsoupours, des Kakevends et des Alavends. Le coup d’œil était magnifique. Nos uniformes rouges et blancs faisaient un effet superbe à côté des habits blancs et bleus des autres corps ; nos officiers avaient des pantalons étroits avec des bandes d’or et des koulydjèhs orange, ou bleu de ciel ou roses ; puis arrivèrent successivement le myrpendj, général de division, avec sa suite ; l’Émyr Touman, qui commande deux fois plus de monde, avec une grosse troupe de cavaliers ; le Sypèh-Salar, encore plus entouré, et, enfin, le Roi des Rois lui-même,