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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/218

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les ministres, toutes les colonnes de l’Empire, une foule de serviteurs ; c’était magnifique. Les tambours roulaient avec un tapage épouvantable ; la musique européenne jouait en mesure, pendant que les hommes, pourvus de leurs instruments extraordinaires, se dandinaient sur place afin de ne pas manquer d’ensemble, les flûtes et les tambourins de l’artillerie à chameaux sifflaient et ronflaient ; la foule d’hommes, de femmes et d’enfants qui nous entouraient de toutes parts était ivre de joie, et nous partagions, avec orgueil, la satisfaction générale.

Tout à coup, le Roi s’étant placé avec les grands seigneurs sur une éminence, on donna l’ordre de faire courir de côté et d’autre les officiers de tamasha. Il est assez curieux que les Européens dont les langages sont aussi absurdes que l’esprit, aient eu l’avantage de nous emprunter ce mot qui rend parfaitement la chose. Seulement dans leur impuissance de bien prononcer, ces imbéciles disent « État-Major. » « Tamasha, » comme on sait, c’est tout ce qui sert à faire un beau spectacle et c’est la seule chose utile que j’aie jamais remarquée dans la tactique européenne. Mais il faut avouer que c’est charmant. De très-jolis jeunes gens, habillés le mieux possible, montés sur de beaux chevaux, se mettent à courir ventre à terre, de tous les côtés ; ils vont, ils viennent, ils retournent ; c’est ravissant à voir ; il ne leur est pas permis d’aller au pas, ce qui détruirait le plaisir, c’est une très-jolie invention, Dieu en soit loué !

Quand le Roi se fut amusé quelque temps à considérer ce tamasha, on voulut lui montrer comment on allait traiter les Turkomans, et pour cela on avait préparé une mine que l’on fit sauter. Seulement, on ne se donna pas le temps d’attendre que les soldats, aux environs, fussent avertis de se retirer, de sorte qu’on en tua trois ou quatre ; sauf cet accident, tout alla très bien et on s’amusa beaucoup. Ensuite, on fit partir trois ballons, ce qui excita de grands applaudissements et enfin, infanterie, cavalerie, artillerie défilèrent devant le Roi, et le soir, on reçut l’ordre de se mettre en marche immédiatement, ce que l’on fit deux jours après.