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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/219

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La première semaine de notre voyage se passa bien. Le régiment s’avançait en longeant le pied des montagnes, et suivant la direction du nord-est. Nous devions trouver notre général, notre colonel, le major, la plus grande partie des capitaines, après deux mois de route, à Meshhed ou ailleurs. Nous étions tous simples soldats, avec trois ou quatre sultans, les naybs et nos vékyls. On marchait de bon courage. Chaque jour, vers deux heures du matin, on se mettait en route, on arrivait vers midi à un endroit quelconque où il y avait de l’eau, et on s’installait. La colonne s’avançait par petits groupes, chacun s’unissant à ses amis, suivant sa convenance. Si l’on était fatigué, on s’arrêtait en route et on dormait son comptant, puis on rejoignait. Nous avions avec nous, suivant l’usage de tous les régiments, une grande file d’ânes portant nos bagages, les provisions de ceux qui en avaient, et nos fusils, avec nos gibernes, car vous pouvez bien penser que personne n’était si sot que de s’embarrasser de ses armes pendant le chemin ; à quoi bon ? Quelques officiers possédaient à eux seuls dix ou douze ânes, mais deux soldats de notre compagnie en possédaient une vingtaine qu’ils avaient achetés à Téhéran au moment du départ et je m’étais associé à eux, car ils avaient eu là une bonne idée.

Ces vingt ânes étaient chargés de riz et de beurre. Quand on arrivait au menzil, c’est-à-dire à la station, nous déballions notre riz, notre beurre, et même du tombéky et nous vendions à un prix assez élevé. Mais on achetait, et notre spéculation était fort heureuse, car il fallait bien avoir recours à nous, sans quoi on se fût trouvé dès les premiers jours dans une grande pénurie. Chacun sait que, dans les grandes vallées de l’Iran, celles précisément que traversent les routes, il y a fort peu de villages ; les paysans ne sont pas si fous que d’aller s’établir précisément sur le passage des soldats. Ils n’auraient ni trêve ni repos et finiraient par mourir de faim, sans compter les désagréments de toute espèce qui ne manqueraient pas de leur arriver. Ils se mettent donc, au contraire, loin des routes et de façon à ce qu’il ne soit pas toujours facile de parvenir jusqu’à eux. Mais les soldats, non plus, ne sont pas maladroits ; en arrivant au menzil, ceux d’entre nous qui connaissaient