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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/296

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il rêvait. Toutes les flammes de la joie, toutes les flammes de l’amour possédaient son être. Quand on aime, on ne fait qu’aimer. À travers tout, en dessus de tout, on aime, et cette trame d’or forme le fond invariable sur lequel se brodent toutes les pensées véritables. Ce qu’on dit en dehors n’est que du verbiage. On n’y tient pas, cela n’est pas de vous, et, si on s’y intéresse c’est que, secrètement, cela tient à l’amour ou y revient. Hors de l’amour, qu’y a-t-il ? Que peut-il y avoir ? Quelle joie, quels transports de s’y abandonner tout entier, sans rien réserver pour quoique ce soit qui s’en éloigne. Projets, espérances, désirs, craintes, terreurs profondes, subites bravoures, certitudes infinies, échappées vers l’enfer, perspectives sans fin, fleuries, étincelantes de soleil qui atteignent au paradis, tout est l’amour, et dans celle qui est aimée se viennent enfermer les mondes. En dehors, il n’y a que le néant, moins que le néant et, comme voile par dessus, le plus profond mépris. C’était ce que sentait Mohsèn.

Mais, à ce moment, il lui fallait passer de la lumière à l’ombre, dans cette ombre où il avait marché depuis la veille, et dont il était sorti depuis quelques instants que le plus poignant bonheur avait envahi et possédé son être. Ce temps de félicité était déjà passé. Il fallait recommencer à gravir dans les ténèbres la route pierreuse et défoncée des périls. Ce qu’il sentait, c’était pourtant toujours l’amour, l’amour éperonné par la douleur même, plus superbe, peut-être, plus intense plus orgueilleux et puisant dans sa force la certitude de ne jamais mourir, se nourrissant d’amertume, mais préférant ce mal à tout bien. Et d’ailleurs, il faut le dire, il n’y avait pas là cette peine, la plus âpre, la plus dure, la plus impardonnable de toutes au destin qui l’impose : il n’était question, du moins, ni de séparation, ni d’absence.

Il ne fut pas facile de faire accepter aux dames du harem la nécessité présente. Khadidjèh, la mère d’Akbar, Amynèh, sa sœur et Alyèh, sa femme, poussèrent des cris et se mirent à pleurer, mais le temps passait ; l’affection même, que les maîtresses du logis avaient conçue pour Djemylèh, aida à leur faire comprendre combien les minutes