Aller au contenu

Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

étaient précieuses, et, malgré leurs sanglots et leurs cris, elles laissèrent la jeune proscrite s’arracher de leurs bras et suivre Akbar qui l’amena à son amant.

On avait en grande hâte équipé et amené les chevaux. Akbar, Mohsèn et Djemylèh se mirent en selle, une douzaine de soldats fit comme eux, et la cavalcade, prenant une rue détournée, gagna au pas une des portes de la citadelle qui donnait sur la campagne, bien résolue à passer sur le ventre des gardes, si ceux-ci cherchaient à l’arrêter ; mais ils n’y songèrent pas, et, une fois dehors, Akbar mit sa monture au galop, et ses compagnons l’imitèrent.

Pendant deux heures, l’allure ne se ralentit pas un instant pour laisser souffler les chevaux. Mais ceux-ci étaient de la bonne race du nord, et leur pas allongé, la fermeté avec laquelle ils le soutinrent, firent faire beaucoup de route. On ne parlait pas, naturellement ; cependant Akbar, jugeant qu’on était assez loin et que la poursuite n’était plus possible, d’autant que personne ne pouvait savoir, en ville, la direction qu’il avait prise, Akbar se mit au pas, et, discrètement, se tint à une distance assez grande des deux amants pour leur laisser toute liberté de s’entretenir. Il servait de guide. Les cavaliers étaient, partie à ses côtés, partie en arrière-garde, partie dispersés sur les flancs, tous regardant autour d’eux l’horizon, à mesure qu’ils cheminaient ; et, ainsi, Mohsèn et Djemylèh se voyaient comme seuls.

— Ne te repens-tu pas ? dit le jeune homme.

— De quoi ?

— De m’avoir aimé, de m’avoir cherché, de m’avoir suivi ?

— Tu serais mort, si je n’étais venue. Tu mourais.

— Ce serait fini peut-être à cette heure ; tu serais assise, paisible, dans ta maison, auprès de ta mère, entourée des tiens.

— Et tu serais mort ! poursuivit Djemylèh. Je t’aurais vu tous les jours que moi-même j’aurais vécu ; je t’aurais vu, sous mes yeux, dans mon cœur, ne pouvant pas même, à force de remords et de chagrins, te ranimer une seule seconde, et moi, je serais couverte de honte à mes propres yeux, lâche, fausse, odieuse à ce qui aurait pu deviner