Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/66

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métier de soldat, et on ne m’a jamais accusé de manquer de courage. Je ne fais pas honte à ma famille, j’ai de l’honneur !

— De l’honneur ? Toi ! s’écria Omm-Djéhâne avec le dernier emportement ; va raconter ces billevesées aux gens de ta sorte ! mais ne pense pas m’imposer avec ces grands mots. N’ai-je pas été nourrie aussi parmi les Russes ? L’honneur ! C’est de vouloir être cru quand on ment, de vouloir passer pour honnête quand on n’est qu’un coquin, et de vouloir être tenu pour loyal quand on vole au jeu. Si l’on rencontre un autre drôle de son espèce, tous deux, gens d’honneur, on se bat et on est tué justement le jour où, par hasard, on n’avait pas tort. Voilà ce que c’est que l’honneur ; et si tu en as vraiment, fils de ma tante, tu peux te considérer comme un Européen parfait, méchant, perfide, larron, assassin, sans foi, sans loi, sans Dieu, un pourceau ivre de toutes les ivresses imaginables et roulé dans tous les bourbiers du vice !

La virulence de cette sortie parut à Assanoff dépasser la mesure, ce qui lui rendit quelque chose de la possession de lui-même :

— Qui veut trop prouver ne prouve rien, dit-il froidement ; ne disputons pas là-dessus à tort ou à raison, mais, dans tous les cas, sans qu’on m’ait demandé avis, on a fait de moi un homme civilisé ; je le suis devenu. Il faut que je le reste. Tu ne me prouveras pas que je fasse aucun mal, en vivant à la façon de mes camarades. D’ailleurs, pour ne te rien cacher, je m’ennuie ; je ne sais pas pourquoi, rien ne me manque, tout me manque. Si une balle veut de moi, je l’épouse. Si l’eau-de-vie m’emporte, grand bien lui fasse ! C’est tout ce que je désire… Tiens ! Omm-Djéhâne, je suis content de te voir. Pourquoi n’es-tu pas restée chez la générale ? Cela valait mieux que cette maison.

— Cette femme, répondit la danseuse avec l’accent de la haine et du mépris, cette femme ! Elle a eu l’insolence de déclarer plusieurs fois, et devant moi, qu’elle voulait remplacer ma mère ! Elle a dit plusieurs fois, et devant moi, que les lesghys n’étaient que des sauvages, et, un jour où je lui ai répondu que leur sang était plus pur que le sien, elle a ri. Cette femme, elle m’a pris une fois par le bras et mise hors