— Je te sauverai, répondit vivement Assanoff ; je veux bien que tous les diables m’étranglent, si je ne te sauve pas ! Tu es toute ma famille ! Ah ! les Russes ! que le ciel les confonde ! Ils m’ont tout tué, ils m’ont tout brûlé, ils m’ont tout détruit ! Mais je leur rendrai au centuple le mal dont ils m’ont accablé, et toi aussi ! Veux-tu que je déserte ?
— Oui, déserte !
— Veux-tu que nous allions dans la montagne rejoindre les autres tribus rebelles ?
— Oui, je le veux !
— Sur mon honneur, je le veux aussi ! Et cela sera tout de suite, c’est-à-dire dans le jour de demain ou plutôt dans le jour d’aujourd’hui, car l’aurore va naître ! Nous redeviendrons ce que nous sommes, des lesghys et libres ! Et je t’épouserai, fille de ma tante, et tu seras sauvée et moi aussi ! Car, en définitive, je suis un tatar, moi ! Qu’y a-t-il de commun entre Mourad, fils d’Hassan-Bey et tous ces messieurs francs ! Est-ce que je ne sais pas ce qu’ils valent ? As-tu lu Gogol ? Voilà un écrivain ! Et qui les arrange comme ils le méritent ! Oh ! les canailles !
Et se relevant tout à coup, il parcourut la chambre à grands pas, livré à un accès de frénésie. Puis il s’arrêta devant Omm-Djéhâne, la regarda fixement, lui prit les deux mains et lui dit :
— Tu es vraiment très-jolie, je t’aime de tout mon cœur, et je t’épouserai, parole d’honneur ? Nous aurons des têtes de Russes sur la table au festin des noces, cela t’arrange-t-il ?
— Beaucoup ; et, par tête, mille baisers !
— Tu sais le français ?
— Oui, je le sais !
— Tant mieux ! Cela nous distraira de le parler quelquefois.
— Mourad, fils d’Hassan-Bey, quelle honte ! oublie pour jamais toutes ces infamies ?
— Tu as raison ! Je suis un tatar et rien autre, et je ne veux être que ça, et puissé-je être mis en dix mille morceaux, si nos enfants ne sont des Musulmans parfaits ! Mais c’est assez raisonner ! Voici