Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/71

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ce qui reste à faire : je vais te quitter parce que le jour arrive. À midi, viens me trouver à la maison de poste. Là, je t’habillerai comme mon ordonnance. Nous partons à une heure dans un grand tarantass qu’on m’a prêté ; nous filons rapidement ; à six lieues d’ici, nous quittons la route, et bonsoir ! Les Russes ne te reverront jamais ici ; moi, ils ne me regarderont que le sabre à la main !

Omm-Djéhanne se jeta dans ses bras. Ils s’embrassèrent, et Assanoff sortit.

Quand il fut dans la rue, il était enchanté de lui-même, enchanté de ses projets, et très-amoureux de sa cousine, la trouvant adorable. Il le faut avouer, accoutumé à ne jamais suivre qu’une idée à la fois, il avait complètement oublié son compagnon de route, et, lorsqu’il avait assigné pour rendez-vous à Omm-Djéhâne la maison de poste, il ne songeait nullement que Moreno l’y attendait.

Ce souvenir lui revint tout à coup.

— Peste ! dit-il, c’est une bonne étourderie !

Il ne resta pas longtemps soucieux, n’en ayant pas l’habitude, plus que de réfléchir.

Je m’ouvrirai de tout à Moreno. Il a conspiré, il sait ce que c’est. Au lieu de me gêner, il m’aidera.

Quand il entra dans la salle où l’Espagnol dormait sur un lit de cuir, il le réveilla sans cérémonie.

— Compliment ; lui dit-il, qui est-ce qui t’a vendu cette couche magnifique, que je ne te connaissais pas ?

— Tu me la connais parfaitement. Je l’ai eue à Tiflis par les soins d’un compatriote à moi, et tu devrais te souvenir qu’à cette occasion tu m’as expliqué savamment, à ma grande surprise, que tous les Juifs du Caucase étaient de souche espagnole. Mais j’imagine que tu ne me réveilles pas au petit jour, après un dîner et une soirée comme celle d’hier, pour me faire passer un examen sur les persécutions de Philippe II, par suite desquelles les Hébreux ont fui à Salonique, et de Salonique poussent jusqu’ici des reconnaissances

— Non, pas précisément ; mais pardonne-moi, je suis un peu troublé.