Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je la crus en délire ; elle n’avait jamais prononcé votre nom ; jamais, dis-je, pas une seule fois ! Mais elle s’irrita et me répliqua en colère :

— Ne me comprends-tu pas ?

Quand elle se fâchait, le sang partait de sa gorge et elle en avait pour des heures de souffrance ! Je cédai.

— Eh bien ! Partons !

Nous sommes venus ici. Elle m’a envoyé chercher du secours tout à l’heure, m’assurant qu’elle se sentait plus mal et ce n’était que trop vrai ; et, pendant que je lui obéissais… vous voyez !

Un sanglot coupa la voix du pauvre diable.

Moreno eut un chagrin profond. Ce n’était pas raisonnable. Ce qui pouvait advenir de plus heureux à Omm-Djéhâne était arrivé justement. Que fût-elle devenue dans la vie ? Si elle était restée une vraie et fidèle lesghy, l’abandon d’Assanoff et de ses premiers rêves n’eût pas bouleversé son âme ; elle avait souffert beaucoup, elle aurait souffert encore, sans doute, mais l’orgueil satisfait et la conscience assurée l’auraient soutenue jusqu’au bout, et, soit qu’elle eût continué à ravir les hommes de goût de Shamakha par le prestige de sa danse, soit qu’elle eût préféré le harem obscur du vieux Kaïmakam, elle aurait pu, désormais, obtenir une longue vie, et, comme les femmes des anciens patriarches, en voir tomber le crépuscule paisible dans une mort paisible et honorée. Mais elle aussi, elle avait fini par être infidèle aux dieux de la patrie. Elle s’en