Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/105

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Bois, ris, chante, amuse-toi, ne te refuse aucune fantaisie ; tu es jeune, tu es jolie, on t’admire, tu danses comme une fée ; le général lui-même sera à tes pieds si tu veux. Pourquoi ne veux-tu pas ?

— Elle me répondit : parce que j’aime et qu’on ne m’aime pas !

Nous ne pûmes jamais en apprendre davantage. Cependant moi qui avais été d’abord amoureux d’elle, tout en n’y tenant guère, je la pris en amitié et l’emmenai à ma ferme où elle consentit à venir. Je la soignai, je tâchai de la distraire, et, que voulez-vous ? à force de pleurer, elle a commencé à tousser, et j’ai fait venir un médecin. Cet homme lui déclara qu’elle devait se bien soigner et éviter de prendre froid. Savez-vous ce qu’elle a fait ? Elle est allée se rouler dans la neige ! Ah ! l’Esprit ! l’Esprit ! Ne m’en parlez pas ! Mais vous êtes tous aveugles, vous autres Gentils ! À la fin, il y a trois jours, elle m’a dit positivement ce que je vais vous répéter, c’est de la folie pure ; mais, pourtant, ce sont bien ses paroles exactes : elle m’a dit :

— Mène-moi à Bakou !

— Pourquoi faire ? ai-je répondu.

— Pour mourir, me répliqua-t-elle.

Le chagrin me serra la gorge, et je lui répondis brusquement :

— On meurt aussi bien ici qu’à Bakou.

— Non ! Je veux mourir sur le seuil de la porte du capitaine Moreno.