Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/115

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pour sa part, il n’avait pas non plus l’habitude de s’en servir. Était-ce vrai, ne l’étais-ce pas ? Dieu sait avec exactitude ce qui en est ! Amen.

Alors le derviche prit la parole et s’exprima ainsi :

— Votre Excellence daigne me combler de beaucoup de faveur ; je dois lui dire qui je suis. Le royaume du Dekkan, dont vous avez certainement entendu parler, est un des plus puissants États de l’Inde ; il m’a vu naître. J’ai été le favori et le ministre du souverain pendant quelques années. C’est assez vous dire qu’aucune des inutilités de la vie ne m’a fait défaut, je sais par expérience propre ce que peut donner d’ennui un nombreux harem ; je connais tous les dégoûts de la richesse ; j’ai vu miroiter assez de pierreries pour n’avoir pas eu longtemps la passion d’en contempler, et quant à la faveur du prince, il n’est pas sur ce sujet une seule observation des philosophes, dont je ne sache, mieux que la plupart d’entre eux, apprécier la vérité et la valeur. Jugez du cas que j’en fais !

Je ne m’arrêtai donc pas de longues années dans une situation si fausse, et je me retirai pour me livrer uniquement à l’étude. Le résultat de mes travaux m’a conduit à abandonner encore cette position comme trop gênante et entraînant trop de distractions indignes. J’ai quitté tout. Vivant seul et content désormais de mon kouskoul et de mon pantalon de coton bleu, je crois pouvoir vous dire une grande vérité que vous ne croirez pas, mais qui, cependant, n’en est pas moins