Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/152

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Il la regardait bien en face ; elle ne tombait pas ; elle le maîtrisait, et c’était lui qui se sentait faiblir, faiblir, faiblir, et qui se prosternait. Il voulait la chasser ; mais qui était le maître en lui-même ? L’amour ou lui ? C’était l’amour ! et l’amour répétait sans se lasser :

— Amynèh !

Et tout, dans l’être entier du pauvre Kassem, recommençait et disait :

— Amynèh !

Et cette voix et ces voix suppliantes, irritées, volontaires, enfin toutes puissantes ne s’arrêtaient plus, et Kassem n’entendit plus rien en lui-même que ces seuls mots :

— Amynèh ! mon Amynèh !

Que faire ? Ce qu’il fit. Il tint bon et continua à marcher. Il allait devant lui ; il avait perdu tout son entrain, toute son exaltation, toutes ses espérances et même le goût de ses espérances, et il rongeait l’amertume d’un profond et irrémédiable chagrin. À chaque pas, il sentait qu’il s’éloignait, non de son bonheur, mais de la source de sa vie ; son existence était plus lourde, plus étouffée, plus pénible, plus combattue, moins précieuse, et donnait moins de désirs de la garder à celui qui la traînait. Il marchait, toutefois, le pauvre amant.

— Je ne peux pas retourner ; j’ai promis, j’ai fait vœu de rejoindre l’Indien. Comment ne pas savoir ses