Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/154

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science est longue et la vie est courte. C’en était donc fait de ces images que le passé lui montrait ; sa félicité était éteinte.

— Je deviendrai vieux, à la fin, se dit-il ; je deviendrai vieux ; j’oublierai Amynèh.

Cette idée lui fit plus de mal que tout le reste à la fois. Il aimait mieux souffrir, il aimait mieux se sentir torturé par la douleur jusqu’à la mort. Il ne voulait pas oublier ! C’était se renoncer soi-même, s’anéantir et faire place à un nouveau Kassem qu’il ne connaissait pas et haïssait profondément.

Il essaya de se calmer par la pensée des belles choses qu’il allait apprendre, et des merveilles que, chaque jour, il lui serait donné de contempler et qui surpassent de beaucoup, ajoutait-il avec conviction, la magnificence des choses terrestres les plus éclatantes, et même, se dit-il tout bas, la beauté d’Amynèh.

Cette suggestion de son esprit lui fit horreur, et une voix s’éleva dans son âme, qui répliqua aigrement :

— Et la tendresse d’Amynèh, y a-t-il quelque chose aussi dans le plus haut des cieux qui la dépasse en valeur ?

Kassem était donc aussi complètement malheureux qu’un homme peut l’être, aussi abattu, aussi triste. Il faisait des vœux ardents pour rencontrer le plus tôt possible le derviche ; car il lui prenait de tels découragements que, par intervalles, il se laissait tomber sur la terre et s’abandonnait à sangloter.