Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/155

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— Quand il sera avec moi, se dit-il, je serai distrait, je penserai à ce qu’il me dira. Il me ramènera à la contemplation auguste de la vérité. Je ne serai pas heureux, mais je retrouverai du courage ; car il faut que j’en aie. Mon sort est de servir aux grands desseins de mon maître ; je subis mon sort.

Au fond, il n’avait plus rien au monde qui l’attachât. Tiré entre deux passions, il ne souhaitait plus, tant il souffrait, que d’obtenir un moment de repos, et d’apprendre ce que c’était que le calme et de savourer la paix. À mesure que les jours passaient, il en arrivait à ce point de ne plus même savoir ce qui pouvait le rendre heureux dans ce monde, tant il lui semblait ne rêver que des choses impossibles. Amynèh ! Elle était si loin ! Elle s’éloignait tous les jours ! Il l’avait perdue ; cette image idolâtrée était noyée dans ses larmes ; il, ne la voyait pas bien ; à force de la regretter, de la désirer, de l’appeler, de pleurer, de ne pouvoir l’atteindre, elle lui semblait ne plus exister dans le monde où il était lui-même, ne pas avoir de réalité sur la terre ; il n’osait plus croire à la possibilité de la reprendre jamais, et, quant à l’amour de la science, première, unique cause de son chagrin, il n’était pas bien sûr de le ressentir encore.

Mais, sur ce point-là, il se trompait. La curiosité, poignante, dont les paroles du derviche l’avaient fait devenir l’esclave, le tenait, en réalité, plus serré qu’il ne croyait. Il ne sentait pas bien pourquoi, dans