Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/157

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rivale ; mais, s’il en est une à laquelle il soit, disposé à accorder, ou du moins à laisser, prendre ce titre sans s’indigner par trop, il semble que ce doit être celle là même qui étreignait Kassem dans ses bras convulsifs. Exaltation pour exaltation, frénésie pour frénésie, celle de l’une vaut celle de l’autre ; il y a, de part et d’autre, autant d’abnégation, autant de discernement, peut-être autant d’aveuglement ; et si l’amour peut se vanter d’emporter au-dessus des vulgarités de la terre l’âme qu’il, transporte dans les plaines azurées du désir, sa rivale, celle-là précisément qui tenait l’âme de Kassem en même temps que l’amour, a le droit de répondre d’une manière assurée qu’elle n’exerce pas un pouvoir dirigé vers des buts moins sublimes. Ainsi le malheureux amant parcourait les campagnes caillouteuses, brûlées d’un soleil inexorable, vides de tout qui ressemblait à de la végétation, ayant toujours devant ses yeux distraits des horizons dont les cercles étaient immenses et s’allongeaient sans cesse ; il s’avançait, et il souffrait, et il pleurait, et il se sentait mourir, et pourtant il marchait.

Il avait beau faire du chemin, il ne parvenait pas à atteindre son maître. Depuis quinze jours déjà, il avait perdu ses traces ; il avait interrogé, il interrogeait les gens des villages, les voyageurs ; personne n’avait vu l’Indien. On ne le connaissait pas. Sans doute Kassem avait pris, à un certain moment, une autre direction, ce qui n’est pas malaisé dans ces