Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/158

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contrées où il n’existe, à proprement parler, aucune route. Mais Kassem ne put pas s’empêcher de reconnaître, dans cette circonstance, la puissance de son Kismèt.

— Si j’avais rencontré mon maître, se disait-il avec amertume, dans les premiers jours où la douleur m’a assailli, je n’aurais sans doute pas eu la force de la lui cacher. Il m’aurait rudement repris, et je n’aurais rien gagné à cette confidence imprudente que des reproches constants, et peut-être… quoi ! peut-être ?… Bien certainement une défiance qui, sans me rendre Amynèh, m’aurait sans doute tenu bien loin, pendant des années, du sanctuaire de la science dont j’aurais été déclaré indigne. Maintenant, je ne suis plus maître de moi, parce que, beaucoup plus malheureux et ayant touché le fond de mon infortune, j’y suis comme prosterné et je ne songe pas même à m’en retirer jamais. Non ! je ne dirai pas un mot à l’Indien ! Je ne lui montrerai pas mon secret. Il ne pourrait le comprendre ! C’est une âme dure et fermée à tout ce qui n’est pas la sublimité qu’il recherche. Il est déjà Dieu ; moi, hélas ! hélas ! que suis-je ? Oh ! hélas ! que suis-je ?

Kassem traversa bien des pays, des lieux déserts, des lieux habités ; il fut ici humainement reçu, ailleurs mal ; il entra dans des villes ; il parcourut les rues de Hérât, et, ensuite, celles de la grande Kaboul. Mais il était à tout d’une indifférence profonde. En réalité, on ne pouvait pas dire qu’il vécût. La dou-