Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Kassem s’avança modestement et baisa la main du sage. Mais celui-ci, concentré dans ses réflexions, ne leva pas même les yeux sur lui et resta contemplant avec fixité les combinaisons de lignes qu’il avait tracées sur le sable et qu’en réfléchissant il modifiait. Le jeune homme le regardait avec une sorte de bonheur mélancolique. Il ne se sentait plus seul. Il était près d’un être qui, à sa façon, l’aimait, qui faisait cas de lui, pour lequel il était quelque chose et qui comptait sur lui. Il eût bien volontiers embrassé le derviche ; il eût voulu se jeter à son cou, le presser contre son cœur dolent. Mais il n’y avait pas d’apparence, que rien de semblable fût possible ; Kassem écarta ces idées presque en souriant de lui-même ; il se contenta de regarder silencieusement son maître, avec une tendre affection, sans chercher à l’interrompre dans les méditations que celui-ci poursuivait et dont, sans les comprendre, il admirait la profondeur. Enfin, pourtant, l’Indien releva la tête et contempla fixement son compagnon.

— L’heure est venue, dit-il ; nous sommes à l’endroit fixé : nous allons commencer notre travail. Espérons tout, quoi qu’il en soit !

— Que cherchez-vous ? lui dit Kassem ; qu’attendez-vous ? Que voulez-vous ?

— Je ne sais pas, répondit l’Indien ; ce que je veux, c’est ce que je ne connais pas. Ce que je connais est immense. Il me faut le par-delà. Il me faut le dernier