Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/159

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ble exaltation qui entraînait et déchirait son être ne le laissait pas un moment tomber au niveau des intérêts communs. Il voyageait, mais il rêvait et ne voyait que ses rêves. C’était merveille qu’il touchât la terre du pied, car il n’était pas du tout sur la terre. Quand il eut atteint Kaboul, sans s’arrêter nullement, comme je viens de le dire, à visiter les singularités de cette ville fameuse, qui a, comme on le sait, des maisons construites en pierres, et à plusieurs étages, il s’empressa d’en partir, et, après quelques journées, il arriva aux cavernes de Bamyàn, où il était certain de trouver le derviche. En effet, en entrant dans une des grottes, après en avoir visité deux ou trois, il aperçut son maître assis sur une pierre, et traçant avec le bout de son bâton des lignes, dont les combinaisons savantes annonçaient un travail divinatoire.

Sans tourner la tête, l’Indien s’écria de la voix mélodieuse qui était si remarquable chez lui :

— Loué soit le Dieu très-haut ! Il a donné à ses serviteurs les moyens de n’être jamais surpris ! Approche, mon fils ! C’est précisément à ce moment du jour que tu devais arriver ! Tu arrives, te voilà ! Je loue ton zèle, dont la pureté immense m’est garantie ; je loue l’élévation de tes sentiments et de ton cœur ; mes calculs me les démontrent, et je n’en puis douter. De toi, je ne saurais attendre que tout bien, toute vertu, tout secours, et, cependant, je ne sais comme d’inexplicables obstacles s’élèvent devant nos travaux !