Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/247

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destin, et que, mon destin étant d’être soldat, il fallait s’y résigner et faire bonne mine.

Quand Leïla apprit ce qui m’arrivait, elle poussa des cris affreux, se donna des coups de poing dans le visage et dans la poitrine, et s’arracha quelque chose de la tête. Je la consolai de mon mieux et Kérym ne s’y épargna pas. Elle finit par se laisser persuader, et, la voyant dans une disposition plus calme, je lui tins le discours que voici :

— Lumière de mes yeux, tous les Prophètes, les Imams, les Saints, les Anges et Dieu lui-même me sont témoins que je ne peux vivre qu’auprès de toi, et, si je ne t’avais pas, je jure sur ta tête que je serais comme si j’étais mort et bien pis ! Dans ce triste état, je ne me suis occupé que de ton bonheur, et puisqu’il faut que je m’en aille, que vas-tu devenir ? Le plus sage est que tu reprennes ta liberté et puisses trouver un mari moins infortuné que moi !

— Cher Aga, me répondit-elle en m’embrassant, ce que tu éprouves d’amour infini pour moi, je l’ai de même dans mon cœur pour ce cher et adoré mari, qui est le mien, et comme, par un effet naturel de ce que les femmes sont bien plus dévouées que les hommes à ce qu’elles chérissent, je suis encore beaucoup plus disposée, que tu ne peux l’être, à me sacrifier ; je pense donc, quoiqu’il m’en coûte, que je ferai mieux de te rendre ta liberté. Quant à moi, mon sort est fixé : je demeurerai ici, à pleurer, jusqu’à ce qu’il ne de-