Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/248

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meure plus une seule larme dans mon pauvre corps, et alors j’expirerai !

À ces tristes paroles, Leïla, Kérym et moi, nous commençâmes à gémir de compagnie. On aurait pu nous voir, tout les trois, assis sur le tapis, en face les uns des autres, avec un baggaly de raky, en verre bleu, entre nous et nos trois tasses, et balançant nos têtes et poussant des cris lamentables, entrecoupés d’exclamations.

— Ya Aly ! Ya Hassan ! Ya Houssein ! ô mes yeux ! ô ma vie ! Je suis mort !

Puis nous nous embrassions, et nous recommencions de plus belle à sanglotter. La vérité est que Leïla et moi nous nous adorions, et jamais le Dieu tout puissant n’a créé et ne saura créer une femme plus attachée et plus fidèle. Ah ! oui ! ah ! oui ! C’est bien vrai, et je ne peux m’empêcher de pleurer encore quand j’y songe !

Le lendemain, au matin, ma chère épouse et moi, nous nous rendîmes de bonne heure chez le moulla et nous fîmes dresser l’acte de divorce, puis elle rentra chez elle, après m’avoir fait les plus tendres adieux. Quant à moi, je me rendis tout droit au bazar, dans la boutique d’un Arménien, vendeur de raky, où j’étais sûr de rencontrer Kérym. J’avais depuis trois jours une idée qui, au milieu de mes chagrins, ne laissait pas que de me préoccuper fortement.

— Kérym, lui dis-je, j’ai l’intention de me présenter aujourd’hui devant mon sultan, c’est-à-dire mon capi-