Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/273

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Je passai quinze jours chez Moulla-Souleyman. Ce fut un moment, un bien court moment de délices. Pendant ce temps on rassemblait les débris des régiments, dont la plupart n’étaient pas en meilleur état que le nôtre, ce qui est bien concevable, après un long voyage. On nous donna, à quelques-uns du moins, des souliers ; on nous remit des fusils, ou, du moins, des instruments qui ressemblaient à des fusils. J’en parlerai plus tard. Quand nous fûmes à peu près équipés, nous apprîmes un beau matin, que l’ordre du départ était donné et que le régiment allait se mettre en route pour Merw. Je ne fus pas trop content. C’était aller, cette fois, au milieu des hordes turkomanes, et Dieu sait ce qui pouvait arriver ! Je passai une soirée fort triste avec Moulla-Souleyman ; il tâcha de me consoler de son mieux, le brave homme, et me versa force thé bien sucré ; nous bûmes aussi un peu de raky. Il revint sur l’histoire de Leïla et me fit raconter les circonstances de la mort de cette pauvre enfant pour la dixième fois, peut-être. J’eus quelque idée de le détromper, mais puisque j’avais tant fait que de lui raconter les choses d’une façon, il me parut plus naturel de continuer et de ne pas le jeter dans de nouvelles perplexités. Le pauvre ami ! Il avait été si bon pour moi, que je me fis un plaisir mélancolique, dans la disposition où j’étais, de me rappeler de nombreux détails où, cette fois, je mêlai des souvenirs qui m’avaient échappé jusque là, et d’où il résultait que, avant