Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/276

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aussitôt ceux qui étaient en première ligne aperçurent un nuage de cavalerie qui se dirigeait rapidement de notre côté. Un cri général s’éleva :

— Les Turkomans ! les Turkomans ! faites feu !

Je ne distinguai absolument rien, je vis quelques hommes qui, au lieu d’abaisser leurs armes, se jetaient à la suite des canonniers. J’allais faire de même, quand le vékyl, m’arrêtant par le bras, cria dans mon oreille au milieu du tapage :

— Tiens bon, Aga-Beg ! Ceux qui fuient aujourd’hui sont des gens perdus !

Il avait raison, tout à fait raison, le brave vékyl, et mes yeux m’en portèrent immédiatement le témoignage. Je vis, comme je vous vois, cette masse de cavalerie, dont je viens de parler, se diviser, comme par enchantement, en des myriades de pelotons, qui, courant à travers la plaine et évitant les obstacles avec l’habileté de gens au fait du pays, tournaient, enveloppaient, saisissaient les fuyards et les accablant de coups, prenaient leurs armes et faisaient des centaines de prisonniers.

— Vous voyez ! vous voyez, mes enfants ! s’écria de nouveau le vékyl, voilà le sort qui vous attend, qui nous attend, si nous ne savons pas nous tenir ensemble ! Allons ! Courage ! Ferme ! Feu !

Nous étions là une cinquantaine à peu près. Le spectacle effrayant étalé sous nos regards donna une telle force aux exhortations du sergent, que, lorsqu’un gros