Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/275

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est très-peu cultivé, grossier et ne pensant qu’à la bataille. On avait envoyé l’artillerie en avant.

Nous marchions depuis trois jours. Il pleuvait à verse et il faisait un temps très-froid. Nous marchions avec beaucoup de peine sur un terrain limoneux, où ceux qui ne glissaient pas s’enfonçaient quelquefois à mi-jambe ; à chaque instant, on avait à franchir de larges coupées pleines d’eau bourbeuse ; ce n’était pas une petite affaire. J’avais déjà perdu mes souliers et, comme mes compagnons, à force de tomber dans les bourbiers, de me mettre à l’eau jusqu’à la ceinture et de grimper à quatre pattes sur des berges abruptes, j’étais couvert de fange et tellement mouillé que je grelottais. Depuis la veille au soir, je n’avais rien mangé. Tout à coup, nous entendîmes le canon. Nos bandes s’arrêtèrent subitement.

Nous entendîmes le canon. Il y eut plusieurs décharges ; puis, tout d’un coup, nous n’entendîmes plus rien. Il y ont un moment de silence ; soudain nous vîmes tomber au milieu de nous un train de canonniers, fouettant les chevaux à toute outrance et se jetant sur nous. Quelques hommes furent écrasés, ceux qui purent se rangèrent. Les canons cahottés, sautant, s’arrêtant, tombèrent les uns dans la boue, les autres dans l’eau ; les canonniers coupèrent les traits des attelages et s’enfuirent, vite comme le vent. Ce fût un hourvari, un tourbillon, une mêlée, un éclair ; nous n’eûmes pas le temps de comprendre, et presque