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Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/29

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— Taisez-vous, s’écria-t-elle en jetant sur Grégoire Ivanitch un regard où se peignait une indignation profonde ; je sais qui vous êtes et je sais aussi ce que vous voulez insinuer. Mais je ne souffrirai jamais qu’à ma table et dans la maison respectable de monsieur Marron (aîné) on tienne des propos qui feraient rougir des sapeurs !

Léocadie rougit fortement elle-même, pour prouver que sa modestie n’était nullement inférieure à celle des membres du corps militaire, dont elle venait de signaler la vertu.

— Allons, jalouse, allons, répliqua Assanoff en agitant la main d’un air conciliant ; il paraît que votre expérience découvre des pièges là où ma candeur n’en soupçonne pas. Soyez donc tranquille ! ma fidélité à mes serments est inébranlable ! Explique-moi, Grégoire Ivanitch, ce que tu prétends me faire entendre, car je suis d’un naturel curieux !

— Il est bien connu, reprit alors le Doukhoboretz en se versant un énorme verre de vin de Kakhétie, que la ville de Shamakha est célèbre pour le choix délicat de ses plaisirs. Ce fut autrefois la résidence d’un prince tatare indépendant. On y entretenait une école de danseuses admirées de tous les pays et célèbres jusque dans les provinces persanes. Naturellement les peuples se rendaient en foule dans ce délicieux séjour, pour y jouir de la vue et de l’entretien de tant de belles personnes. Mais la Providence ne voulut