Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/301

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Mes camarades et moi, nous fîmes une chanson qui racontait nos malheurs, et nous en régalions les paysans le long de la route. Cela nous valait toujours quelque peu. D’ailleurs, la charité des Musulmans nourrissait les pauvres captifs mieux qu’elle ne l’avait fait jadis pour les soldats du Roi, et nos gardiens en profitaient comme nous. Seulement, il fallait que chacun de nous prît bien garde à ses petites recettes, car soit nous-mêmes, soit nos soldats, nous ne pensions naturellement qu’à nous emparer de ce qui n’était pas à nous. Pour moi, je tenais mon argent serré dans un morceau de coton bleu ; je ne le montrais à personne et l’avais attaché sous mes habits, par une corde. Quand nous arrivâmes dans la capitale, je peux bien avouer maintenant que je possédais, avec le toman en or que m’avait donné mon cousin, quelques sahabgrans en argent et force shahys de cuivre, environ trois tomans et demi. Certains de mes camarades étaient, j’en suis sûr, plus riches que moi ; mais d’autres aussi étaient plus pauvres ; car un vieux canonnier appelé Ibrahim, qui était mon voisin de chaîne, n’obtenait jamais rien, tant il était laid.

En arrivant à Téhéran, on nous conduisit justement à mon ancien corps-de-garde et on nous mit en exposition sur la plate-forme. Les gens du quartier, me reconnaissant, accoururent ; je fis le récit de nos malheurs, et on était en train de nous donner beaucoup, lorsqu’arriva un véritable miracle. Dieu soit