Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/321

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celui qui, sans parler, se déclarait si bien son esclave.

Ce fut une commotion électrique ; ce contact magique portait on lui la toute-puissance ; l’humeur fière du jeune homme, déjà bien ébranlée, se brisa comme un cristal sous cette pression presque insensible, et un bonheur sans nom, une félicité sans bornes, une joie d’une intensité sans pareille, pénétra par tous ses débris dans l’être entier de l’Afghan. L’amour demande à chacun le don de ce qu’il a de plus cher ; c’est là ce qu’il faut céder ; et, si l’on aime, c’est précisément ce que l’on veut donner. Mohsèn donna sa vengeance, donna l’idée qu’il se faisait de son honneur, donna sa liberté, se donna lui-même, et, instinctivement, chercha encore, dans les plus profonds abîmes de son être, s’il ne pourrait donner plus. Ce qu’il avait estimé jusqu’alors au-dessus du ciel lui semblait mesquin en présence de ce qu’il eût voulu prodiguer à son idole, et il se trouva en reste devant l’excès de son adoration.

À genoux, le petit pied tenant son épaule, et, lui, courbé jusqu’à terre, il releva de côté la tête, et Djemylèh le regardant aussi, palpitante, mais sérieuse, lui dit :

— Je suis bien à toi ! Maintenant, va-t’en ? Viens par ici de peur que mes parents ne te rencontrent, car ils vont rentrer. Il ne faut pas que tu meures ; tu es ma vie !