Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/322

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Elle retira son pied, prit la main de Mohsèn, le releva. Il se laissait faire. Elle l’entraîna dans le fond de, la maison, le conduisit vers une porte de sortie, et écouta si aucun bruit dangereux ne se faisait entendre. En vérité, la mort les entourait. Avant de lui ouvrir passage, elle le regarda encore, se jeta dans ses bras, lui donna un baiser et lui dit :

— Tu pars ! Hélas ! Tu pars !… Oui ! Je suis bien à toi !… pour toujours, entends-tu ?

Des pas retentirent dans la maison ; Djemylèh ouvrit rapidement la porte :

— Va t’en ! murmura-t-elle. Elle poussa le jeune homme, et celui-ci se trouva dans une ruelle déserte. Le mur s’était refermé derrière lui.

La solitude ne le calma pas ; au contraire, le délire, devenu son maître à la vue de sa cousine, et porté alors, du moins il le semblait, à son point le plus extrême, prit une autre direction, une autre forme, et ne diminua pas. Il lui parut qu’il avait toujours aimé Djemylèh, que les quelques minutes écoulées comprenaient sa vie, sa vie entière. Auparavant, il n’avait nullement vécu ; il ne se rappelait que vaguement ce qu’il avait voulu, cherché, combiné, approuvé, blâmé une heure en çà. Djemylèh était tout, remplissait l’univers, animait son être ; sans elle, il n’était rien, ne pouvait rien, ne savait rien ; surtout en dehors d’elle, il eut eu horreur, s’il l’avait pu, de désirer ni d’espérer quoi que ce fût.