Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/353

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les vôtres ont fait périr deux de mes proches, il n’y a pas plus de trois ans ; me voilà, moi ; la voilà, elle, vous pouvez nous tuer sans nulle peine, le ferez vous ?

En prononçant ces dernières paroles, Mohsèn se releva tout droit, et Djemylèh avec lui. Ils se prirent par la main et regardèrent fixement Abdoullah.

Celui-ci serrait avec force le manche de son couteau, et ses yeux creux ne promettaient rien de bon, quand la vieille dame lui dit :

— Monseigneur, écoutez la vérité ! Si vous touchez à ces enfants, qui ont réclamé mon appui, en tenant un pan de ma robe, vous perdez votre honneur devant les hommes, et, à leurs yeux, votre visage, qui est étincelant comme l’argent, deviendra noir !

Abdoullah n’eut pas l’air convaincu. Il était clair que les sentiments les plus vindicatifs flambaient dans son cœur, hargneux, féroces, affamés de la proie tombée à leur portée, et que, si d’autres considérations s’élevaient et les contenaient, celles-ci avaient peine à résister, et, d’un moment à l’autre, pouvaient plier.

D’après les usages de ce peuple afghan, belliqueux, farouche, sanguinaire, mais singulièrement romanesque, un ennemi mortel ne saurait plus être attaqué du moment où il s’est jeté dans le harem de son adversaire et a conquis la protection des femmes. L’honneur veut que ce suppliant devienne, à l’instant, sacré ; on ne le toucherait pas sans se couvrir d’infamie,