Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/36

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bruit ; mais tantôt pour une raison, tantôt pour une autre, ce service ne fonctionnait pas ; et, bref, Moreno et Assanoff, voulant s’en aller à Kontaïs et de là gagner Tiflis et Bakou, n’avaient d’autre parti à choisir que de prendre place dans leur pirogue : ce qu’ils firent.

Il était beau de les voir dans cette embarcation étroite, qu’une banne blanche mettait à l’abri des rayons du soleil, assis ou couchés au milieu de leurs caisses, fumant, causant, dormant ou se taisant et s’avançant avec la plus majestueuse lenteur, tandis que deux de leurs mariniers poussaient avec des gaffes, et que les deux autres, la cordelle sur l’épaule, tiraient de leur mieux, en marchant courbés sur la berge et à pas comptés.

On ne peut pas dire que la forêt commence seulement au sortir de Poti. Poti est comme absorbé dans la forêt ; mais, quand on laisse derrière soi l’enceinte carrée en pierres flanquée de tours où les musulmans parquaient jadis les esclaves, dont ce lieu était l’entrepôt principal au Caucase, on n’y voit plus d’habitations, et on peut se croire dans des lieux que les humains n’ont jamais visités. Rien de si abandonné, en apparence, rien de si inhospitalier, de si farouche, de si rébarbatif. Un fleuve hâté, roulant des eaux limoneuses ou chargées de sable sur un lit rempli de roches, contre lesquelles ses eaux rebroussent à chaque instant ; des rives lacérées, déclivées par les crues subites et impitoyables de la saison d’hiver, présentant ici une